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  Hommage à mon grand-père Paul Menier.

 

Bataille d'Ypres                            

(sans utilisation du verbe)

 

 

À l’entour, une vaste plaine noyée entre le fleuve Yser et la voie ferrée de Dixmude.
Triste campagne marécageuse aux odeurs mélangées de charognes et de pourritures.
La mer conquérante, mais cette fois prisonnière des écluses refermées.
1914 : Belle ville d’Ypres dévastée, incendiée, trempée.
Témoin obligé de ce territoire sombre de la Grande Guerre.
Constructions de milliers de sacs de sable érigés çà et là au-dessus du sol.
Édifications renforcées par d’interminables rangées de fils barbelés.
Stabilisation du front sous un brouillard dense, des jeunes hommes en marche.
Procession silencieuse colorée, sinueuse dans les tranchées du front de l’Yser.
Toute proche, une brigade de la division de cavalerie.
Des chevaux complices de ces militaires excellents cavaliers.
La tension nerveuse et l’impatience exprimées par les ébrouements des montures.
Parmi eux, mon grand-père Paul, tout juste 21 ans. 
Ordre général, obligation suprême, la défense du territoire, non l’offensive.
2014 : dans ma main gauche, un petit tableau aux couleurs passées.
Dans ma main droite, « La Croix de l’Yser ».
Une des nombreuses décorations de guerre de Paul.
Toutes reçues pour sa bravoure, sa combativité, sa hargne au front.
Soudain, des hussards lancés au grand galop, offerts au hasard des tirs des fusils d’en face.
Des obus Shrapnels, des milliers de billes de plomb projetées tous azimuts.
Tout cela sous une brouillasse épaisse, une fine pluie ruisselante, même au travers des uniformes.
Pour les autres, les compagnons de galère à pieds.
Infanterie de glaise, engluée, enfoncée dans la boue et l’argile.
Au sein d’odeurs macérées échappées du sol, aux émanations du gaz moutarde aux parfums du raifort et de l’ail.
Gaz vésicant sous cette brume devenue blanche et jaune.
Par endroit, à même la gadoue, des corps mutilés.
Des corps disloqués, des humains avalés par la glaise.
La retraite sonnée, des hommes hagards, retranchés, les yeux piquants et brûlés. 
Des cloques sur les bras, les mains et les cous, les poumons collés et les gorges âcres.
Partout des bruits diffus, les échos des toux additionnés aux cliquetis des armes et des casques déposés.
Endurance, résistance, abandon et gémissements. Très longue attente au passage des brancardiers.
Ni le chant d’un oiseau, ni la chaleur du soleil. Pas même un bruissement de feuilles.
Juste la fin d’une âpre défense, un court sursis.

 


Pierre Paul Nélis

 

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